Gabrielle Segal – Le corps est le pays

Illustration : Lee Yanor, « Void », 2011, C-print et impression sur voile. ©Lee Yanor

L’affreuse sensation
de ne pas me pouvoir là où je me trouve
qui me jette à la rue
et je n’y fais rien qu’idiotement marcher
m’attachant aux visages détachés
à la pâle poésie d’une fleur coincée
dans la fente d’un pavé

l’affreuse sensation
comme n’être qu’élément
sans membres ni conscience
de ne pas vouloir me garder assise
alors que je viens de m’asseoir
vite je me lève
et marche encore marche
sans plus rien regarder
le cœur se traînant
en demandant réponse
en demandant asile

tu ne peux pas l’écrire
le sol ne te tiendra plus
les murs et la nuit même
auront perdu leur opacité
il y aura bel et bien un lieu charnel
mais tu ne pourras t’y poser
l’amour viendra alors que tu te seras envolée
devenue trop légère pour qu’une main te happe
si résolue soit-elle
tu ne peux pas l’écrire
de là où tu te trouveras
commencement et fin seront semblables
le bel entre-deux piégé derrière leurs bords rassemblés

Gabrielle Segal – Carnets

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